Il était une fois l'ASPICG

L'Association de protection des intérêts collectifs et du cadre de vie des chaletains de Gruissan-Plage (ASPICG) n'est pas née d'un coup de baguette magique. L'enfantement est né d'un conflit avec le fisc. En décembre 1987, celui-ci réclame une taxe foncière aux 1 023 propriétaires. C'est la première fois qu'on assujettit les chalets gruissannais à cet impôt. Juridiquement, il faut être propriétaire pour payer cette taxe, or ce n'est pas le cas. Le chaletain ne bénéficie  que d'une autorisation précaire et révocable au bon vouloir de la commune. 

Un collectif de protestation se forme, intervient auprès des services fiscaux qui s'appuient sur la rénovation cadastrale qui permet une individualisation des parcelles et les aménagements de voierie pour attribuer le titre de propriétaire "immobilier" à l'ensemble des résidents. Devant le refus de ceux-ci d'accéder à leur demande d'exonération, l'Aspicg est créée le 9 Août 1988 à la Sous-préfecture de Narbonne. M. Fernand Loupias est nommé président. D'autres responsables Mrs Dupouy, Gayraud, Maille, Mur, Marty, etc... composent ce bureau  offensif.

 Les recours gracieux devant l'administration échouent. La mairie déclare ne pas vouloir spolier les propriétaires mais ne souhaite nullement se substituer à eux pour régler la note qui frapperait durement le budget de la collectivité. Devant ce bloc d'inertie, l'Aspicg este en justice devant le Tribunal de grande Instance de Narbonne. Pour sa défense les résidents rappellent les arguments développés par les notaires, le fisc et ses avocats, à savoir que selon le Code civil et son article 552, le propriétaire du sol emporte la propriété du dessous et du dessus. Il reviendrait donc à la commune d'acquitter la taxe foncière réclamée par les impôts. Pour l'Aspicg, les chaletains ne sont que de simples utilisateurs d'un bien meuble et non des possédants d'un bien immeuble. Le fisc a outrepassé ses droits en les facturant car il a créé du droit de propriété, hors de ses compétences.  Le climat se durcit entre les divers partenaires surtout que l'affaire envahit les médias.

La municipalité escomptait sur cette recette d'aubaine pour fortifier son budget et réaliser des investissements y compris au niveau des chalets eux-mêmes. C'est pourquoi, elle ne proteste pas et ne s'allie pas au mouvement de ses administrés. L'Aspicg saisit donc le tribunal en janvier 1990, soit déjà 3 ans après la réception des avis de paiement. C'est dire toute la complexité du problème, les résistances des diverses administrations, le colossal travail de recherche des dirigeants d'alors, leur qualité d'organisation dans ce long conflit.

La question posée était claire : qui est le véritable propriétaire du chalet ? La commune ou le chaletain ? L'association acceptait le principe du transfert de propriété de la mairie aux chaletains quitte à payer les taxes qui étaient liées à ce nouveau statut. Elle préconisait même au maire d'alors de vendre les parcelles de façon à régler définitivement les problèmes juridiques et fiscaux. Cette demande est restée lettre morte. Des arguments sociaux, d'inégalité de fortune ont été soulevés, ce qui a mené à écarter cette proposition de résolution.

Pour contester la décision des services fiscaux, l'Aspicg les assigne devant le Tribunal administratif de Montpellier en mai 1990.  Pas d'impôt sans justification du droit de propriété.

Le Tribunal civil narbonnais quant à lui a rendu son verdict le 11 avril 1991. Il a tout bonnement arrêté que seule la commune était propriétaire et que les chaletains n'avaient qu'un titre provisoire et précaire, termes reprenant l'ancien cahier des charges de 1947 ! La mairie de Gruissan héritait donc de plus de 1000 chalets dans la corbeille de mariée ! Elle n'en exigeait pas tant. 

Car au regard  des textes, les propriétaires lésés, s'ils étaient expulsés auraient eu droit de réclamer une indemnisation conséquente. La commune avait aussi la possibilité de restituer les chalets par un acte formalisé. 

La situation issue de ce jugement surprenant mais logique sur un plan de droit abstrait n'a pas convenu à la municipalité qui s'est vue en charge d'immeubles susceptibles de grever ses équilibres financiers.

En conséquence, M.Gimié maire fait appel de ce jugement au civil le 27 juin 1991. Sa volonté première est d'échapper à toute imposition. Il ne remet pas en cause le statut précaire des résidents et le mot propriétaire n'est jamais prononcé officiellement. L'Aspicg œuvre pour que la situation soit éclaircie pour de bon et à long terme. La vente des terrains n'est plus d'actualité. Elle contacte la présidence de la République, les ministres des Finances, de la Justice. En vain. Chacun de ces représentants cantonnent leur réponse dans le cadre du jugement de Narbonne. La mairie est la seule propriétaire et elle peut disposer comme elle veut de son bien qui appartient à son domaine privé. Le chalet demeure donc un bien meuble, non soumis à inscription aux hypothèques, n'est pas un patrimoine immobilier, ne peut bénéficier de prêts de ce type.

L'association n'entend pas accepter de faire payer par les chaletains un impôt lié à un droit de propriété qu'ils n'ont pas. Les contribuables versent donc leur impôt sur un compte de la Caisse des Dépôts et Consignations en l'attente d'un jugement définitif. A cette époque, près de 700 chaletains adhérent à l'Aspicg. La commune en prend acte mais ne le considère pas comme le seul interlocuteur d'où d'inévitables frictions.

Au mois d'octobre 1991, le tribunal administratif de Montpellier rend son arrêt. Il attribue la pleine propriété des chalets à leurs résidents et constructeurs. Ce qui signifie que ces derniers sont redevables de la taxe foncière. Mais une instance administrative ne peut octroyer un droit de propriété, ce qui est du ressort des tribunaux civils. Le tribunal sursoit donc à statuer tant que le problème fondamental de la propriété n'est pas réglé par la Cour civile de Montpellier. C'est sur ces mauvaises appréciations, cette confusion entre jouissance des biens et propriété que l'association intente un appel en septembre 1992 devant la Cour d'Appel de Bordeaux, section administrative, pour faire annuler les réclamations du fisc depuis le début.

A ce contentieux déjà très flou et qui piétinait, est venu s'ajouter celui de l'amodiation. En effet, la fixation de celle-ci paraissait arbitraire alors qu'elle aurait dû être établie sur la base de la surface occupée par le bâtiment. En avril 1993, l'Aspicg s'oppose donc aux avis de paiement de l'amodiation et diffuse un courrier-type adressé au maire de Gruissan. L'essentiel de la véritable lutte s'avère être les taxes qui frappent les chalets.

Entretemps, arrive l'arrêt de la Cour de Montpellier le 22 février 1993. Il contredit celui du Tribunal de Narbonne : il fait référence à un "droit de superficie", notion connue du droit romain mais surtout de l'ancien droit, qui fait une distinction entre sol et dessus du sol. Au départ, ce droit intéressait le droit minier, pour séparer le sol et le dessous du sol. Le chaletain devient superficiaire. Ce droit est un droit réel immobilier, comprenant tous les avantages et contraintes liés à cette catégorie de droit (Hypothèque, droit à prêt, successions). L'arrêté de 1947 est caduc.

A partir de là, les parties vont convenir de plusieurs choses. Un cahier des charges va être rédigé pour préciser les droits et devoirs de chacun. Le conseil municipal l'approuvera à l'unanimité en décembre1993. Il prévoit une commission ad hoc pour régler les éventuels litiges quant à son application ainsi que pour sa régulière actualisation. L'Aspicg rappelle que la mairie était propriétaire du sol et du chalet et que les chaletains n'avaient donc rien à payer si l'on avait adopté les conclusions du jugement des tribunaux administratifs. 

La mairie propose une diminution  de 40 % du montant de la redevance d'amodiation en contrepartie du retrait de l'Aspicg de toute action judiciaire, à savoir celle de la Cour de Bordeaux. Le bureau estime que ce marché est valable et l'entérine.

Cette très longue et harassante bataille juridique mais aussi humaine, institutionnelle, a duré sept années et représente un dossier de plus de 200 pages. L'Aspicg a réussi à faire accepter le droit de propriété des chaletains, à faire diminuer le montant de la redevance d'amodiation, à contenir son assiette en la liant aux variations de l'indice du coût de la construction et à mettre sur pied des instances de concertation mutuelle. Il est vrai que ce contentieux et son issue ont marqué les esprits, qu'il a parfois déclenché des réflexes hostiles à l'association présentée comme un groupe rebelle au statu quo communal.   

Son action a permis de clarifier une situation de bâtardise juridique et de mettre fin à des pratiques d'hégémonie municipale au point de vue des droits. Il y a eu un rééquilibrage nécessaire. Que tous ceux qui ont acquis un chalet puissent en prendre  connaissance et en tirer les conclusions sur les nécessités d'une vigilance collective  qui a fait ses preuves depuis l'origine de l'association au travers des nombreux combats qu'elle a menés avec succès jusqu'à aujourd'hui.

 

Claude Depyl

backtotop